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Préface
du livre "La bièvre redécouverte".
(signataires)
Demain la Bièvre
Les millénaires se suivent et ne se ressemblent pas. La Bièvre
le sait car l'eau, dit-on, a une mémoire. Elle doit s'apercevoir que
les temps ont changé, depuis les castors d'antan, et savoir aussi que
son avenir est entre les mains d'hommes qui lui veulent du bien. Car elle
a besoin des hommes.
La " nature-naturelle ", qui était encore celle des premiers
millénaires, ne fait plus la loi autour de Paris. Si, au début
du XIXe siècle, les villages traversés ne comptaient à
peine qu'un ou deux milliers d'habitants, aujourd'hui les cinquante communes
de son bassin versant dépassent le million.
Mais plus encore : une rivière ne peut dépendre des seuls éléments.
Des soins constants, un entretien quotidien, des attentions, des protections,
de l'affection, de la tendresse même lui sont nécessaires. Le
fil de son cours ne suffit plus. Et la protection a besoin de la loi ; l'inscription
à l'inventaire des sites que l'État lui a offert en cadeau,
il y a trente ans, dans les sept communes en amont de Verrières-le-Buisson
et bientôt son " classement " valoriseront des paysages qui
ne se défendent plus seuls si près de Paris et des plateaux
de Saclay, de Vélizy, de Villejuif, où l'urbanisation a gagné
sur les champs.
La protection n'est qu'un des volets de l'attention à une
rivière qui veut vivre. Sans entretien constant, elle serait vite encombrée
; sans les tracés des busages parallèles, elle serait souillée
d'eaux usées et, de plus en plus, d'eaux de ruissellement. Sans règles
d'urbanisme, les constructions se presseraient aux abords de son lit et empêcheraient
sa respiration. Sans instruments de mesure, les pollutions accidentelles ou
chroniques resteraient ignorées. Sans traitement, les eaux extérieures
viendraient grossir, sales, une rivière qui a failli passer à
trépas il y a trente ans et que les pêcheurs, amis de l'eau,
avaient déjà désertée. Comme pour la forêt,
l'entretien et la mise en valeur sont, depuis toujours, des obligations.
La Bièvre que nous aimons vivante lorsqu'elle respire à l'air
libre dans sa haute vallée appelle une attention de tous les jours
; les cent mille randonneurs qui la fréquentent chaque année
s'en doutent-ils ?
La Bièvre des faubourgs est encore plus exigeante car les
pressions y sont plus fortes et les risques accrus. Les rejets des habitations
et les lessivages de l'asphalte sont un souci permanent. Pendant des siècles,
quand la population était plus réduite et que s'égrenaient
les teinturiers, les mégissiers, les fabricants d'écarlate,
les bouchers, les tanneurs, les manufacturiers et les milliers de blanchisseuses,
les règlements furent une mince barrière à l'irréparable.
Les riverains unanimes demandèrent par pétitions répétées
que la Bièvre, souillée jusqu'à la puanteur, mais encore
vagabonde et parfois même furieuse, soit domestiquée. Les ingénieurs
répondirent à cette attente et, en moins d'un siècle,
la Bièvre fut domptée.
Le XXème siècle, depuis 1950, a consacré deux rivières
Bièvre : l'une encore vive et espiègle sur 20 km, l'autre sous
dalle ou en sous-sol sur 16 km. L'une chantée mais fragile, l'autre
silencieuse malgré quelques soupirs de souvenirs, quelques saules ou
peupliers et des plaques de rues à son nom. Mais "soupirs et souvenirs",
murmurait Louise de Vilmorin, une riveraine, "ne suffisent pas".
Le millénaire qui s'annonce ouvre de nouvelles perspectives.
L'action des communes traversées, des syndicats et des départements,
des entreprises de l'eau ainsi que des associations change la donne. Les collecteurs
d'eaux usées et pluviales, la création de nouveaux bassins de
retenue, la prévention des pollutions et des inondations, la mise en
place de systèmes de mesure et d'alerte permettent aujourd'hui d'envisager
des réhabilitations, des mises en valeur paysagères et, demain
de nouveau, là ou c'est possible, la liberté.
Ce qui hier était impensable est aujourd'hui envisageable.
On peut, en effet, sur une dizaine de kilomètres imaginer, là
où la Bièvre est à fleur de sol, un nouveau dialogue
avec l'eau amie Dotée d'une eau plus pure et assagie, en 1999, la rivière
a été ramenée à la surface sur plus d'un kilomètre.
Demain les différents acteurs pourront faire de la Bièvre une
belle rivière accueillant une faune et une flore vivantes et mettant
en valeur les constructions, avec plaisir, avec tendresse, mais aussi avec
intérêt et bonne économie. Une eau qui respire n'est plus,
en effet, une charge pour la collectivité.
La Bièvre peut être l'occasion de faire plaisir à tous
les riverains, aux promeneurs de plus en plus nombreux et ainsi servir d'exemple
pour la planète
Déjà, des Amériques et du Japon, des experts viennent
la saluer.
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